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16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 11:51

(Article publié dans le bulletin n°10 des Amis de l’Alto en novembre 1984, traduit de l'anglais par Albert Azancot).

 

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Tout au long des cent dernières années, la Grande-Bretagne a produit un nombre non négligeable de compositeurs femmes, dont les carrières ont fleuri et mérité une grande considération. Tel fut le cas de Rebecca Clarke dans les années 1920. Ce fut une charmante dame qui, après avoir écrit une des plus belles et romantiques sonates pour alto mit en musique des poésies de Yeats, Mansfield et Housman, avec de réelles qualités et une inspiration très personnelle.

En 1925, au Wigmore Hall, un concert entièrement consacré à ses œuvres fut donné avec le concours d’exécutants tels que Myra Hess, Adila Fachiri, May Mukle, John Goss devant un auditoire où étaient présents de nombreux compositeurs et musiciens britanniques.

Mais, outre qu’elle s’imposa comme compositeur, Rebecca Clarke se fit connaître comme l’une des premières femmes altistes d’Angleterre jouant au sein de formations féminines de musique de chambre de son temps, avec des artistes telles que les sœurs Aranyi, l’English ensemble, May Mukle, Marjorie Hayward et Kathleen Long.

Elle entretenait d’excellentes relations avec W.W Cobbett et Paul et Muriel Drappers, bien connus pour leurs fameuses soirées de musique de chambre à Chelsea. En diverses occasions, elle tint la partie d’alto avec les plus grands artistes de son temps, les Thibaud, Heifetz, Schnabel, Elman, Huberman, Casals, Szigeti, Monteux et Arthur Rubinstein. Elle avait une vaste connaissance des œuvres de compositeurs anglais et de beaucoup de créateurs étrangers. Moeran lui dédia un trio à cordes et Walter Leigh écrivit pour elle une Sonatine pour alto. On peut dire que durant sa longue existence (1886-1979), elle connut les plus grands musiciens et s’en fit connaître.

 

 

« ….Quelques traces de talent…. »

 

 

Rebecca Clarke naquit à Harrow en 1886. Son père James Clarke, originaire de Boston (USA), s’était installé en Angleterre comme agent de l’Eastman Kodak company. Sa mère, Agnès Helferich, était la petite-nièce de Léopold von Ranke, historien allemand réputé. Les Clarke, qui s’étaient mariés à Munich en 1885, élirent résidence à Harrow et y eurent quatre enfants. James avait une passion pour la musique de chambre ; il fit en sorte que ses enfants deviennent instrumentistes afin, disait-il, d’avoir à demeure de la musique de chambre. Il ne manquait pas de conduire sa famille au concert et Rebecca se souvenait, en particulier, du quatuor Joachim et du violoniste Eugène Ysaÿe.

 

Rebecca commença l’étude du violon à 8 ans, puis entra en 1902 à la Royal Academy of Music où elle eut comme professeur Hans Wessely pour l’instrument et Percy Hilder Miles pour l’harmonie. Myra Hess fut une de ses camarades d’études et toutes les deux jouèrent ensemble leur vie durant. Les leçons avec Wessely furent fructueuses mais Percy Miles, captivé par cette grande jeune fille de 17 ans, lui parla mariage, ce qui amena son père à lui faire quitter l’académie

 

C’est à cette époque que Rebecca se mit à composer des chants sur des textes allemands qu’elle modelait en lieder romantiques. Son père envoya ces œuvres au professeur de composition, à l’époque Charles Stanford qui répondit :  il y a quelques traces de talent chez votre fille . Il suggéra qu’elle prenne des cours au Royal College of Music ; Rebecca devint ainsi la première étudiante féminine en composition.

 

 

Des débuts prometteurs et le succès

 

 

A l’inverse de plusieurs élèves masculins, Rebecca faisait des progrès car elle portait un grand intérêt aux leçons de Stanford. Celui-ci lui fit écrire une série de variations, la première année, et une sonate pour violon, la seconde, ce qui l’incita à poursuivre ses études avec lui. Stanford lui suggéra également d’opter pour l’alto, lui disant : vous serez ainsi au centre de l’harmonie et réaliserez comment elle est ordonnée. Lorsqu’elle quitta le collège, à 24 ans, après avoir reçu quelques leçons de Lionel Tertis, elle entra dans la profession en jouant dans divers orchestres et ensembles de la banlieue londonienne.

 

Elle fut une des premières femmes à entrer au Queen’s Hall Orchestra d’Henry Wood, en 1912, et y resta jusqu’à la première guerre mondiale. Mais ce devait être grace à la musique de chambre, avec d’autres partenaires féminines, que Rebecca commença à être connue ; d’abord avec Nora Clench, ensuite avec Adila Fachiri, Jelly d’Aranyi et Guilhermina Suggia. 1916 fut l’année du premier de ses nombreux voyages en Amérique où elle joua en récital et rencontra Elisabeth Sprague Coolidge, la célèbre protectrice de la musique, qui influença la carrière de Rebecca comme compositeur.

 

Deux de ses mélodies Shy One et Cloths of heaven , toutes deux sur des textes de Yeats, écrites en 1912, attirèrent l’attention du public lorsqu’elles furent chantées par le ténor anglais bien connu Gervase Elwes ; au cours d’un récital à New York, en 1918, elle donna en première audition une pièce pour alto et piano, Morpheus, que les critiques saluèrent comme un succès majeur. Mais le triomphe vint en 1919 lorsqu’elle présenta une sonate pour alto au concours Coolidge ; le prix était de 1000$ et 73 œuvres avaient été présentées anonymement.

 

A l’issu des débats, le jury, composé de six musiciens distingués, se trouvant en désaccord sur deux œuvres retenues avec deux ballotages, donna une voix prépondérante à madame Coolidge elle-même: Celle-ci choisit celle qui lui parut être une Suite pour alto et piano de Ernest Bloch; lorsque le jury insista pour que l’auteur soit identifié, on constata qu’il s’agissait de la Sonate pour alto et piano de Rebecca Clarke. .. . Si vous aviez vu leur visage, lorsqu’ils surent que c’était l’œuvre d’une femme… » rapporta plus tard, Madame Coolidge à Rebecca. Cet incident valut à la sonate et à son auteur une bonne publicité en Amérique et en Angleterre. Elle fut jouée en premier au Festival du Berkshire de 1919 par Louis Bailly, alto et Harold Bauer, piano et, par la suite, donnée plusieurs fois par l’auteur elle-même.

 

La Suite pour alto et piano de Bloch fit une grande impression sur Rebecca, à tel point qu’une mélodie qu’elle écrivit peu après le concours porte le titre  Un psaume pour David  et que l’influence du style de Bloch est visible dans le Trio avec piano qui fut son œuvre majeure en 1921. Celui-ci fut donné d’abord par le Trio Elshneo, puis la même année à Londres par Marjory Hayward, May Mukle et Myra Hess. D’autres exécutions eurent lieu en Europe et un comité comprenant Bax, Bridge et Goossens le recommanda au festival de Salzbourg en 1923.

 

 

Les années fécondes

 

 

Les années 20 furent extrêmement productives et stimulantes pour Rebecca Clarke. Outre un tour du monde avec sa partenaire de toujours,  la violoncelliste May Mukle, au cours duquel elles se produisirent en Chine, aux Indes, au Japon et en Amérique, elle écrivit un Epilogue  pour cello et piano à l’intention de Guilhermina  Suggia, Midsummer Moon  pour violon et piano à celle d’Adila Fachiri et quelques belles mélodies:  The seal man, Cradle song, June Twilight, Eight o’clock, Cherry blossom wand, The Aspidistra et Greetings pour divers chanteurs anglais. Plusieurs œuvres furent publiées par Winthrop Rogers, Oxford University Press ou Chester. A cette époque, elle forma également l’English Ensemble qui demeura en activité jusqu’en 1939.

 

Sa musique depuis la Sonate pour alto de 1919 jusqu’au Greetings  de 1929 constitue le sommet de sa production, montrant une riche palette harmonique, un sens heureux du rythme, un pouvoir de construction de phrases longues et puissantes à partir de la plus petite formule mélodique et une merveilleuse délicatesse de phrasé et de couleur instrumentale. Bien que son inspiration la porte vers les thèmes populaires ou folkloriques, sa musique possède des qualités bien françaises et fait penser, en bien des points, à Debussy, Ravel et Bloch ; elle est toujours habilement agencée et ne révèle pas cette tendance à l’épaisseur sonore qui caractérise les créations anglaises de l’époque. C’est peut-être cette remarquable clarté et sa concision rythmique qui frappent le plus l’esprit aujourd’hui.

 

Pourtant, comme dans la sonate pour alto, on relève de nombreux passages empreints d’un merveilleux romantisme, de passion et d’ardeur impulsive. Ses mélodies ont une avance remarquable sur son temps, par leur surprenante façon de traiter les paroles dans les récitatifs ; l’écriture pianistique, très descriptive, révèle une structure harmonique puissante.

 

 

Une aventure…. Et le mariage

 

 

De 1929 à 1940, il semble qu’elle ait peu composé. Elle n’en donna jamais la raison, sauf une fois, peu avant sa mort, où elle dit  avoir eu une aventure avec un homme marié qui lui enleva toute son énergie de compositeur ( !) . Quoiqu’il en soit, la poignée d’œuvres écrites de 1940 à 1944  parmi lesquelles ont peut citer Daybreak  pour voix et quatuor à cordes,  Passacaglia on an Old English Tune pour alto et piano, Dumka  pour violon, alto et piano et deux chants The Donkey  et  God made a tree, montrent une remarquable évolution dans le style, s’éloignant de Bloch, des compositeurs français et de la manière anglaise pour acquérir un caractère nettement personnel.

Une œuvre de cette époque, Prélude, Allegro et Pastorale pour alto et clarinette fut jouée au festival de Berkeley de la Société Internationale de musique Contemporaine en 1942.

 

A partir de 1939, la vie de Rebecca Clarke change complètement. Elle se trouvait en visite chez des amis en Amérique lorsque la guerre éclata en Europe. Classée comme « bouche improductive à nourrir », il lui fut interdit de rentrer et elle dut rester en Amérique.

Logée d’abord chez un frère, elle s’employa comme bonne d’enfants dans une famille américaine du Connecticut. En 1944, alors qu’elle faisait des emplettes à New York, elle tomba par chance sur James Friskin qu’elle avait connu au Royal College à l’époque de Stanford, mais qui, depuis 1920, professait à la Juilliard School. Maintenant, tous deux se retrouvaient quinquagénaires et célibataires ; ils décidèrent de ses marier et c’est ainsi que de 1944 à sa mort en 1979, Rebecca Clarke résida à New York.

 

 

Le dernier parcours

 

 

Sa carrière d’instrumentiste et de compositeur était terminée; elle consacra le reste de sa vie à son mari, à des lectures musicales et à des oeuvres sociales. Les nombreuses personnes qui l’ont connue gardent le souvenir de son charme et de ses rares qualités car, jusqu’à sa mort, elle conserva cette acuité d’esprit, cette tendance caustique, cette captivante énergie qui émanaient de sa personnalité, toutes qualités qui, de fait, se retrouvent dans sa musique. Elle fut tout à la fois la dame anglaise distinguée du début du siècle et la femme jeune d’esprit et de cœur, aimant la compagnie de la jeunesse.

 

Ayant vécu à travers tant de sociétés diverses –depuis l’époque de l’Angleterre victorienne jusqu’au New York moderne- , ses expériences furent extraordinaires. Elle évoquait souvent les grandes personnalités du passé et rappelait à leur propos des anecdotes peu connues. De Frank Bridge, son ainé de quelques années, elle disait : Bridge était au fond un grand romantique: il se teint les cheveux la nuit … Il fut l’un des plus beaux altistes que j’aie jamais entendu; il aurait pu faire une grande carrière de chef d’orchestre, mais il ne pouvait supporter les musiciens d’orchestre; ce fut sans doute le plus talentueux musicien que j’ai rencontré… Voilà certes un éloge des plus éloquent, venant d’une dame qui a connu tout ce que le monde compte de musiciens célèbres.

 

Quarante ans plus tard, sa musique n’était pas oubliée et celle publiée était bien diffusée ; c’est alors qu’en 1976, par pure coïncidence, pour son 90e anniversaire, elle devait connaître un regain. Une nouvelle station radio new-yorkaise, le WQXR diffusait un programme sur la pianiste anglaise Myra Hess. Son producteur apprit par un ami qu’une vieille dame habitant New York l’avait connue alors qu’elle étudiait à la Royal Academy of Music en 1902. Il rendit aussitôt visite à Rebecca et fut si captivé par sa personnalité et ses connaissances qu’il décida de monter un émission sur elle et sur sa musique. Le trio avec piano, la sonate pour alto et quelques-unes de ses mélodies furent exécutées et produisirent un vif intérêt à New York. Le trio fut enregistré plus tard par la Leonarda Productions, maison d’édition promotionnant les femmes musiciennes. La sonate et les mélodies furent données plusieurs fois par la suite, ce qui lui procura quelque argent. Plus tard, la Sonate fut diffusée par le BBC et enregistrée par la Czech Record Company Supraphon. Plusieurs revues récentes en parlèrent comme d’une véritable découverte, c’est en une en effet ! Rebecca Clarke fut enchantée par ce qu’elle appela « sa petite renaissance ».

Elle mourut à New York le 13 octobre 1979. Puisse cette renaissance se poursuivre…

 

Michael Ponder

 (extrait de la Gazette de la section britannique de la Viola Society – traduit de l’anglais par Albert Azancot)

 

 

 

Concernant Rebecca Clarke, un ouvrage particulièrement intéressant a été publié (en anglais): A Rebecca Clarke Reader (Indiana University press, 2004 – reprint, Rebecca Clarke Society, 2005). Il réunit plusieurs articles sur Rebecca Clarke (par Nancy B.Reich, Liane Curtis, Deborah Stein et Bryony Jones), mais aussi plusieurs articles écrits par Rebecca Clarke (sur l’alto dans le quatuor à cordes ou sur Ernest Bloch….) et plusieurs entretiens avec Rebecca Clarke (réalisés par Robert Sherman, Nancy Uscher et Ellen D.Lerner)

 


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