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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 08:27

chailley-copie-1

 

(Il y a dix ans, le 7 décembre 2001, disparaissait l’altiste Marie-Thérèse Chailley. Voici pour lui rendre hommage, un entretien réalisé par Ervino Puchar et publié en 1984 dans le Bulletin des Amis de l’Alto n°10)

 

 

Marie-Thérèse Chailley est née en 1921 à Paris, d’une famille de musiciens. Son père Marcel Chailley, violoniste et remarquable pédagogue, fut longtemps l’assistant de Jules Boucherit au Conservatoire et le premier professeur de violon installé par Jacques Thibaud à l’Ecole normale de musique. Sa mère Céliny Chailley-Richez, pianiste et professeur, fut pendant de longues années la partenaire en sonates de Georges Enesco. Son frère est ce musicologue savant et ce compositeur délicat que tous les musiciens et mélomanes connaissent.

Mais laissons parler Marie-Thérèse de ses débuts à l’alto:

 

« J’étais une fille de 14 ans qui adorait son violon. Mes parents, de remarquables musiciens, m’avaient demandé un jour : « Aimerais-tu jouer de l’alto ? » Comment répondre à une telle question…. Mon père m’expliqua alors que la technique de l’alto était, à peu de choses près, la même que celle du violon, que le son en était seulement plus grave, plus beau au dire de certains. Mes parents ne me cachèrent pas que cette conversion les comblerait de joie ; La musique de chambre, dans laquelle ils excellaient l’un et l’autre serait alors mon domaine ; quoi de plus satisfaisant pour leur esprit !

Il fut donc convenu, à l’issue de cette conversation, que l’on demanderait rendez-vous au grand altiste Maurice Vieux, professeur au Conservatoire, afin d’avoir son avis.

Le 13 juillet 1935, nous étions chez Maurice Vieux. C’était une sorte de colosse blond, aux cheveux ondulés, puissant et débonnaire, grand altiste et excellent homme. J’étais intimidée, bien sûr ! Je lui jouai au violon, accompagnée par ma mère, le Prélude et Allegro de Kreisler, attribué alors à Pugnani. Après les compliments d’usage, le maître me présenta un alto et me le tendit en me demandant de déchiffrer un Andante de Bach qu’il installa sur le pupitre. Quelques tâtonnements. Le temps de faire connaissance, puis ce fut le premier vrai contact entre nous: mon alto et moi ;  le coup de foudre!

 Les sons graves, émouvants, tels que je les découvrais sous mon archet me touchaient infiniment plus que ceux, parfois trop aigus, du petit frère le violon que j’aimais pourtant bien…Sans nul doute. J’allais devenir infidèle; je l’étais déjà! A mon grand étonnement, le Maître parla de me présenter au Conservatoire en octobre, chose à laquelle je n’aurais jamais osé songer ; mon âge - 14 ans - le surpris : « Qu’importe, dit-il, on demandera une dispense ».

Pendant tout l’été, je travaillais, sous la direction de mon père, enthousiasmé par mon nouvel instrument beaucoup mieux adapté à mon tempérament. Au bout de trois mois, entrée première au concours du Conservatoire (avec le Concertstück d’Enesco), je rejoignis le peloton des 14 élèves dont l’âge s’étageait entre 20 et 24 ans. Tout alla très vite ensuite, car, onze mois après mes débuts à l’alto, (je venais d’avoir quinze ans), j’obtenais le premier des premiers prix, dans des circonstances dramatiques, ayant perdu mon père six jours plus tôt.

La vie professionnelle était prête à m’accueillir. Pourtant, combien il me restait à apprendre, à approfondir, dans le domaine si vaste de la musique dont la technique doit être l’humble servante… Je m’inscrivis dans les classes de musique de chambre (Calvet), d’orchestre (Philippe Gaubert), travaillais l’harmonie, suivais les cours de culture générale. Je faisais partie d’un quatuor et de plusieurs orchestres de chambre. Je continuai de travailler avec Maurice Vieux, suivis les cours d’interprétation de Georges Enesco, participai à de nombreux concerts et donnai mes premières leçons ; l’enseignement m’apparut tout de suite captivant. L’imprésario Arthur Dandelot (grand-père d’Yves et père de Maurice) m’offrit mon premier récital, qui eut lieu le jour de mes 17 ans à la salle de L’Ecole normale de musique appelée maintenant salle Cortot. Je n’ai cessé d’en donner depuis »

 

Cette réussite si rapide, là où se profilent tant de traversées du désert a dû vous combler ?

 

C’est dans l’exaltation que je suis rentrée, plus vite que prévu, dans la carrière artistique qui me procura tant de joies, des peines aussi, mais que sont les joies sans elles ?

 

Et les concours internationaux ?

 

Oui, j’ai eu en 1948, le second prix du concours international de Genève - pas de premier prix cette année là - quelques mois après la naissance de mon quatrième enfant. A cette époque, j’étais altiste du quintette Chailley-Richez ; ma mère en était la fondatrice et la pianiste – et aussi l’âme du groupe, nous faisant travailler avec quelle science! Plusieurs répétitions par semaine, beaucoup de concerts en France, à l’étranger. Ginette Neveu fut des nôtres, ainsi que Marie-Thérèse Ibos avec laquelle je n’ai jamais cessé, depuis, de faire de la musique.

 

Les récitals, les concerts de musique de chambre conduisirent donc notre altiste, au fil des ans, en Europe, Moyen-Orient, Afrique du Nord, USA, Canada, Mexique, Amérique centrale….A l’activité de soliste et de chambriste s’est toujours jointe celle de professeur: assistante de Léon Pascal pendant une vingtaine d’années, elle fut aussi professeur à l’Ecole normale et à la Schola Cantorum. Elle enseigne maintenant au CNR de Boulogne, à l’UMIP, au CMIA d’Annecy (stage annuel) et fut membre du jury au CNSM de Paris, aux concours internationaux de Genève et de Budapest. Les enregistrements de Marie-Thérèse Chailley sont malheureusement tous épuisés, à l’exception du concerto de Michel Haydn, pour alto et orgue (avec Marie-Claire Alain) et orchestre (Jean-Francois Paillard) chez Erato (1959). Elle assura également de nombreuses premières auditions. Beaucoup de compositeurs lui dédièrent une œuvre.


Avec une discrétion et une délicatesse tout à son honneur, Marie-Thérèse Chailley ne parle du rapport artistique–vie familiale que si on lui demande expressément. Car enfin, ce ne doit pas être une mince affaire de concilier cela… Et pourtant quatre enfants sont venus égayer ce foyer qu’avec son mari elle a fondé jeune encore. Avec un gentil sourire qui écarte a priori ce qu’une fierté pourtant légitime pourrait contenir de vanité, elle ajoute : « deux sont chargés de recherche au cnrs, une fait de l’information médicale, une autre est comédienne. Quand les enfants étaient petits, nous nous sommes arrangés ; mon mari qui est médecin m’a énormément aidé. Non, lui n’est pas musicien mais je n’ai pas de meilleur collaborateur, ni, avec ma dernière fille, Isabelle, la comédienne, de meilleur juge. »

 

Votre plus beau souvenir d’interprète ?

 

"Incontestablement, le jour de mon premier prix. Mon père venait de mourir (quelques jours avant). Pourtant il était là, avec moi, dans cette si belle salle de l’ancien conservatoire (que nous regrettons tant) à la merveilleuse acoustique ; jamais je n’aurai cru pourvoir m’exprimer sur mon instrument avec autant d’intensité. J’ai joué dans un état second, l’émotion sublimant mon jeu."

 

Peut-être bien ce jour là, Marie-Thérèse Chailley prit-elle plus pleinement conscience de la différence de la qualité sonore existant entre violon et alto, différence « qui vient de l’être profond de l’individu, ces sons graves exhalant quelque chose de plus intime encore, de plus intérieur ».

Passée comme un météore au Conservatoire, l’altiste rend hommage à sa mère : « c’était la musique même ; elle m’a inculqué la science du travail quotidien et l’art de l’interprétation. Mon père nous avait quittés si tôt ! »

 


A la suite du mémorable voyage de l’Association à Moscou et à Leningrad, notre ami Paul Hadjaje dans son papier « en clé d’Ut 3e ligne » du dernier bulletin, avait exprimé des idées fort intéressantes, notamment sur la question des débuts dans la pratique de l’instrument !

 Commencer d’abord par le violon ? Ou directement par l’alto ?, ce qu’il soutient d’ailleurs.

Pour Marie-Thérèse Chailley, et pendant plusieurs années, elle se situait entre les deux possibilités dans ce sens qu’elle même, influencée par le violon et ayant passé de l’un  à l’autre sans difficultés, prenait en mains les futurs altistes en leur enseignant d’abord le violon, estimant que « cela leur donnait plus de légèreté, plus de vélocité ». Il y a certes le problème de la « prise de son » ; toutefois elle ne pense pas que le fait de passer par le violon est une gène. Mais cela est le passé, même si il n’est pas tellement lointain : actuellement l’élève débutant, chez elle, joue « alto » même sur un violon monté en alto.

« Et dès le départ je tiens à les centrer vers le jeu « musical » à chercher à les comprendre, à ne jamais les décourager, à leur faire découvrir progressivement que la technique, pour indispensable qu’elle soit, n’est qu’un moyen pour atteindre le but qui est la musique. Bien sûr que c’est long, que les contacts pour bons qu’ils soient ne donnent pas toujours le résultat souhaité. Mais n’en est-il pas ainsi de toutes les disciplines ?»

 

La conversation s’en va vers un autre aspect, celui de la place de l’alto dans la grande famille instrumentale.

« Mais qui peut dire encore que c’est l’instrument des violonistes « ratés » ? Des artistes comme Laforge, Tertis, Maurice Vieux – ce n’est qu’après ma sortie du conservatoire que j’ai pu apprécier à sa juste valeur l’enseignement magnifique de notre Maître avec qui je continuai à travailler – ces artistes donc que l’on doit considérer comme des pionniers ont fait une école et cela s’est traduit par l’éclosion d’une pépinière d’altistes remarquables, maîtres de leur instrument et qui n’ont rien à envier à leurs collègues violonistes !

Même pour ce qui concerne la relative « pauvreté » du répertoire, l’altiste n’est pas d’accord: on le dit trop. Dans les classiques et les romantiques il y a de quoi faire  et puis il y a beaucoup de choses contemporaines ».

Et l’enregistrement ? « Cela réclame une perfection formelle qui est au détriment de la sincérité. C’est un peu artificiel. Je préfère la salle au studio. Pour moi, les sensations sont tout autres : avant le concert, être la proie à l’angoisse et à l’euphorie en même temps, espérer l’état de grâce ; pendant le concert, « sentir » la qualité du silence face au public, donner le maximum… »

 

Que voyez-vous pour clôturer ?

 

J’aimerais rendre ici un hommage reconnaissant, non seulement à mes parents, à Maurice Vieux, mais aussi à quelques autres (certains disparus) qui guidèrent mes pas dans la carrière:

 

-  à Fernand Gabez, mon professeur de violon à Orléans entre 8 et 11 ans.

- à Madame M.S.Rousseau qui me fit tant aimer le solfège que j’obtenais à 14 ans dans sa classe la première médaille, première nommée de tout le conservatoire, dès ma première année après trois ans de cours privés.

à Joseph Calvet, grand quartettiste et grand professeur qui m’a tant appris de la musique et fut pour moi si paternel.

- à René le Roy, flûtiste, qui, l’ayant travaillée avec l’auteur, m’inculqua l’interprétation de la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy

- à Alfred Guasco, violoniste qui me vient en aide de façon lumineuse lorsque mes moyens techniques m’abandonnèrent au cours d’une période difficile de ma vie.

- à Michel Gorovitch, violoncelliste, qui m’apporta lui aussi ses lumières.

- à Henri Casadesus qui me confia en 1948 la première audition à l’alto du concerto attribué longtemps à Jean-Chrétien Bach.

- à Amable Massis qui me dédia son beau Poème pour alto et orchestre dont la première audition eut lieu au Chatelet avec l’orchestre Colonne dirigé par Paul Paray. Quel souvenir !

- à Stan Golestan qui orchestra à mon intention son Arioso et Allegro. J’en donnai cette nouvelle version en première audition le 4 novembre 1953 avec l’orchestre radio-symphonique (devenu le nouvel orchestre philarmonique) sous la direction de Jean Giardino.

- à Léon Pascal qui, à 20 ans, faisait partie du quatuor de mon père ; il me choisit comme suppléante dès son arrivée au Conservatoire et m’invita à me joindre à son quatuor pour les œuvres à deux altos.

- à tous les autres que je n’ai pas cités qui m’ont encouragés de leur talent et de leur sympathie. 

 

Marie-Thérèse Chailley joue un alto Delannoy, élève de Vuillaume et daté de 1929. « Il me va, j’en suis contente mais…. » 

C’est en 1973 que les cambrioleurs ont raflé tout ce qu’il y avait d’instruments dans l’appartement : son alto, un Lavazza de 1762 avec deux archets de Sartory (dont celui que l’archetier lui avait offert pour son prix), le violon de son père, quatre autres violons et archets dont un alto de Georges Dupuy – cadeau en souvenir de son père – bref, tout. Ceci, pour l’anecdote, encore qu’en l’occurrence le terme soit tout de même léger. Car, cela laisse des traces. Pas dans l’appartement mais dans le cœur.

Là aussi apparaît ce sourire….non pour excuser ou pour oublier mais pour dire que l’épreuve est passée

 

(Propos recueillis par Ervino Puchar)

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(Marie-Thérèse Chailley, lors d'un colloque de l'alto au début des années 80)

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