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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 11:21

(Article publié dans le Bulletin des Amis de l'Alto n°23 en décembre 1997)

 

Pendant les quinze jours passés à Hanoi en compagnie de Blandine Terrieux, violoncelliste, Christophe Robert, violoniste, j’ai, en tant qu’altiste, fait deux concerts et j’ai aussi donné des cours aux étudiants du Conservatoire de Hanoi. J’aimerais évoquer ce que nous avons pu rencontrer d’étonnant sur notre chemin.

 

Dans l’enseignement de la musique, le contexte géographique et politique du Vietnam est déterminant. Nous sommes en Asie du sud-est dans un pays qui sort doucement du communisme. La république socialiste du Vietnam décide en 1986 de suivre l’exemple soviétique en s’engageant sur la voie de la glassnost et de la pérestroïka. Géographiquement, la culture occidentale est très éloignée. Politiquement, le renfermement communiste a entraîné d’énormes carences, les artistes ne venant pas, les disques n’étant pas importés, les partitions ne circulant pas....

 

Actuellement le Vietnam est dans une politique d’ouverture. L’étranger est reçu très chaleureusement. On est avide de culture et de son savoir différent qui devient accessible. Ancienne colonie française, le Vietnam garde avec la France un rapport privilégié. Le père d’un élève altiste,  pétri de culture française nous expliquait:  Avec la France n’oubliez pas, nous sommes ennemis! Mais la culture française est magnifique. Elle est la langue du savoir alors que l’anglais n’est que la langue de l’argent.  L’ouverture sur le monde occidental permettra au Vietnam de sortir d’une paralysie économique et culturelle. Pour la culture, l’échange se fait notamment avec la France.

 

La musique s’adresse apparemment aux milieux privilégiés. On fait de la musique pour avoir une éducation complète. Mais n’est-ce pas aussi un moyen de toucher aux chimères de l’occident? On étudie la musique et en même temps on poursuit des études de commerce extérieur, de “businessman”! En effet, la musique ne permet pas de vivre confortablement. Un musicien gagne environ 500 Frs par mois. Les vietnamiens ont besoins de plusieurs revenus. Inconscient du niveau, un jeune violoncelliste tenait les propos suivants: Je pense pouvoir vivre de mon violoncelle à l’étranger, aux USA par exemple mais pas au Vietnam. Ici, je préfère être businessman.

A Hanoi, les débouchés sont dans les trois orchestres de la ville (orchestre de la radio, orchestre lyrique et celui du Conservatoire). Dans la campagne, les rizières n’offrent pas d’avenir aux jeunes artistes.

 

Le Conservatoire (Hanoi National Conservatory of Music) se rénove et garde ses traditions. Une nouvelle salle de concert, dans un bâtiment tout neuf, vient d’être inaugurée. La musique traditionnelle y est étudiée au même titre que la musique occidentale. Chaque étage a son département. Le rez-de-chaussée est celui des “cordes”. Par ailleurs, le conservatoire est doté d’une bibliothèque avec des disques (disques noirs et CD) et d’une salle d’écoute qui malheureusement n’est pas fréquentée par les étudiants. Les conditions de travail ne favorisent pas l’écoute et la concentration.

 

Les portes des classes ne se ferment pas de façon hermétique. Les salles restent les fenêtres ouvertes avec par conséquent les bruits de la rue et de ceux qui s’exercent dans les salles voisines. Il n’est pas rare de voir les étudiants s’entraîner les portes ouvertes et même à plusieurs dans le couloir. Ainsi les élèves ne sont-ils pas habitués à la même qualité d’écoute qu’en occident où le silence constitue la première règle pour un travail sain.

 

Le climat a aussi une forte influence sur les conditions d’apprentissage. La chaleur ajoutée à l’humidité ne sont pas favorables au bon fonctionnement des instruments. En effet, les pianos gardent difficilement l’accord et les instruments à cordes souffrent de cette constante moiteur.

Les instruments sont dans un état déplorable. Le manque de luthiers est cruel. Les étudiants ne savent comment prendre soin de leur instrument. Il faudrait qu’un luthier leur apprenne quelques rudiments pour se débrouiller seuls.

Il m’arrive de voir sur un scooter une contrebasse prise sous le bras, mêlée à la foule des motos dans la poussière et sans housse. Certains archets sont recollés à l’aide de scotch, des altos sont fendus sous le chevalet. Les étudiants ne savent pas régler leurs chevilles. Et il est extrêmement difficile de trouver des cordes, des chevalets, de faire remècher son archet. Un coussinet est importé de Thaïlande pour une altiste chanceuse. Sinon, les coussins sont des antiquités chancelantes!

Nous avons remarqué que le manque de qualité des instruments freine les élèves dans leur progression. Le violoncelle d’un instrumentiste occupant une place de soliste dans un des orchestres de Hanoi équivaut à un très bon instrument d’étude. Le professeur d’alto était impressionné par la qualité de mon alto, instrument de bonne facture en France.

 

Qui sont les professeurs de nos jeunes étudiants? Ce sont les étudiants les plus brillants de leur génération envoyés dans les pays de l’Est pour rapporter un savoir de l’Occident. Ils ont donc été formés en Hongrie, Bulgarie ou en Russie (Moscou, St.Petersbourg). La Directrice du Conservatoire d’Hanoi, elle-même étudiante à Moscou, a formé l’un des plus brillants pianistes vietnamiens qui d’ailleurs, nous a accompagnés pour le concert au Palais des pionniers. Les professeurs enseignent donc ce qu’ils ont appris il y a 20 ans. Leur conception du style est dépassée. Ils n’ont pas la connaissance des manuscrits, ni d’interprétations respectant le texte original. Pour l’alto, les russes utilisent énormément de transcriptions. Le matériel pédagogique des élèves est composé de transcriptions de pièces pour violoncelle ou violon (Concerto  de Haydn, Lalo, Élégie  de Rachmaninov , Chaconne  de Vitali , Adagio  de Kodaly..). Ces pièces ne sont pas jouées sur l’alto en France.

 

Il y a 8 ou 9 professeurs de violon, 3 professeurs de violoncelle et 2 pour l’alto. Le nombre d’élèves s’élève à 90 pour le violon, contre seulement 30 en violoncelle et 15 en alto. Christophe devra prendre en charge 24 élèves, Blandine 12 et moi, 8.

L’organisation des études est structurée en 4 cycles: élémentaire (4), secondaire (3), supérieur (4) puis universitaire (2). Après ce cursus, il est possible de faire une maîtrise.

On commence la musique à 7 ou 8 ans, mais l’alto ne se commence que vers 15 ans soit par choix délibéré de l’étudiant, soit parce que les professeurs le décident. Au Vietnam, on ne peut commencer par l’alto car il n’existe pas de petits altos et on ne monte pas les petits violons avec des cordes d’alto. On attend donc que la main soit assez grande pour jouer sur ce grand instrument. A l’heure actuelle les russes procèdent toujours de cette manière. L’autonomie de l’alto n’est pas encore acceptée ni reconnue. Une étudiante, Huen, me disait que dans le conservatoire les altistes ont la réputation de mal jouer. Comme pour le reste, les vietnamiens sont en retard par rapport à la reconnaissance de l’alto. L’alto n’avait jamais été joué seul ou en sonate au Palais des pionniers...Il faut prouver à la nouvelle génération que l’instrument peut être bien joué et qu’ils peuvent eux aussi très bien jouer.

 

Au Conservatoire, l’apprentissage s’accompagne de l’étude de disciplines plus théoriques telles que l’histoire de la musique, le solfège, l’harmonie et l’analyse.

Ici, nous touchons au point sensible de leur formation. Leur niveau instrumental reste faible parce que leur culture musicale n’est pas approfondie. La connaissance et l’écoute des langages musicaux, propres à chaque compositeur, devraient nourrir leur jeu instrumental. Hors, celui-ci est détaché de la logique du langage musical occidental. Monsieur Tuan, professeur d’histoire de la musique, nous expliquait que pour les étudiants, Beethoven est une espèce de héros de la mythologie.

En dehors du manque d’une écoute intelligente de la musique, il y a l’inexistence de la musique de chambre qui pourtant est le moyen le plus efficace et le plus merveilleux d’accéder aux richesses de la musique. Cette pratique n’est pas encore développée. Il me semble que l’orchestre n’est commencé qu’en deuxième ou troisième année de secondaire. Le niveau des jeunes vietnamiens est freiné par l’absence de bases stylistiques acquises par la fréquentation des salles de concerts, l’écoute des disques, la pratique de l’orchestre et de la musique de chambre. On ne peut comparer le nombre de concerts donnés à Hanoi par rapport à celui de Paris. En revanche, on peut se demander pourquoi les étudiants n’ont pas le réflexe de se servir de leur médiathèque qui pourtant est à portée de mains.

 

Ainsi durant des deux semaines de cours, j’ai pu remarquer leur incapacité à différencier un langage baroque, classique et romantique. L’époque baroque et les “nouvelles” interprétations qu’elle entraîne sont inconnues. On ne connaît pas la signification d’une appogiature, d’une cadence rompue, d’une tension, d’une résolution, d’une note réelle, d’un frottement harmonique...Il s’agit pourtant d’éléments qui définissent un style. Le clavecin est ignoré et la viole de gambe inexistante à ce jour!

Le jeune étudiant vietnamien n’est pas en mesure de lire un texte, d’en respecter tous les signes. Ainsi certaines articulations sont oubliées ou changées. La musique est alors complètement déformée.

 

Chanter sa partition n’est pas une coutume courante. Mes élèves étaient même effrayés! Certains sont très prudes. N’est-ce pas une particularité de leur caractère? Est-il possible de parler d’individualité artistique? Il est délicat de parler d’une forme de sensualité en musique. Le plus important était de faire comprendre que chaque note, chaque phrase musicale, ne se jouent pas pour elle-même mais pour exprimer un sentiment ou représenter une image. Il faut jouer ce qui est derrière la note et non simplement la note avec une hauteur, une durée et dans le meilleur des cas une nuance précise.

L’imagination fait vivre les signes.

 

Pour réaliser ce détachement par rapport au texte, j’ai été confrontée à des problèmes plus matériels, d’ordre technique. D’élève en élève, on retrouvait les mêmes caractéristiques. L’enseignement ne semble pas être très rigoureux. Voici quelques observations:

 

pour la main gauche :

                        

 - le poignet en arrière,

- le pouce très en arrière,

- pas de connaissance des positions sur le manche

- le vibrato trop serré, venant du violon.

 

pour la main droite :                        

 

- poids naturel du bras non acquis,

 - archet trop serré,

- pas de souplesse dans la main,

- développement de l’archet à partir du coude.

 

Il a fallu replacer certaines bases techniques avec patience.

 

Ce tableau noir doit laisser place au bonheur de leur enseigner ce qui leur a fait défaut. Chaque élève nous a donné énormément d’attention. Leur faculté d’écoute de nos conseils et d’adaptation était remarquable. Extrêmement motivés, ils nous ont donné le meilleur d’eux-mêmes en peu de temps.

Une remarque faite sur un défaut de main gauche était prise en compte dès le lendemain. En tant que jeune enseignant tout semblait possible. Par leur désir d’apprendre, nos élèves nous ont entraînés à donner le maximum d’information. Leur joie d’apprendre était très forte. Sur leur visage se lisait leur bonheur de vaincre de nouvelles difficultés. Comment ne pas se rappeler le sourire d’une altiste qui voit son archet faire un sautillé pour la première fois! Des élèves qui au même moment ont suivi les étapes de son apprentissage se réjouissaient aussi de voir l’instant où enfin l’archet saute naturellement. Dans la classe chacun participe, cherche, même Haï, mon interprète qui a été un bras droit aussi sympathique qu’efficace. A la fin du séjour, il pouvait devancer mes paroles. N’est-ce pas la preuve de leur adaptabilité?

Très ouverts, ils ont aussi très bien perçus la musique du XXème siècle que nous avons présenté en concert (pièces pour instrument seul de Dutilleux, Jolivet, Maderna et pièce pour trio à cordes de Zimmermann)et dans les cours par le travail de duos contemporains pour l’audition. Les deux duos d’alto formés pour l’occasion se sont très rapidement pris au jeu avec ce nouveau langage musical. Dans ce type de répertoire, ils se laissaient plus facilement guider par leur imaginaire. Dans une atmosphère très sérieuse de travail, les rires accompagnaient nos recherches....

 

C’est un réel plaisir d’enseigner dans ces conditions. Motivation, réceptivité et travail étaient associés au bonheur d’échanger nos cultures si différentes. Suite à notre concert consacré au répertoire contemporain, un ami d’un altiste désirait adapter le système dodécaphonique à la musique traditionnelle qui était son univers. Notre partage et notre passage étaient trop courts. Nous n’avons fait que déposer quelques graines occidentales sur la lointaine Asie. Il faudrait renouveler cette expérience exceptionnelle pour tous.

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commentaires

S
J'apprécie votre blog , je me permet donc de poser un lien vers le mien .. n'hésitez pas à le visiter. <br /> Cordialement
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Michel Michalakakos.

 



Le concours National des Jeunes Altistes 2014 se déroulera au CRD d'Aix-en-Provence

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